Sophie de Villeneuve : Alors que Noël approche, on peut se demander si la naissance de Jésus a réellement eu lieu, ou si ce n’est qu’une belle histoire, de celles que l’on raconte aux enfants.

S. G. : Quand on lit les Écritures, on ne se demande pas si ce qui y est raconté est merveilleux ou plaisant. C’est d’abord la mise en récit d’une annonce très lointaine, l’attente d’un messie annoncé par Isaïe et d’autres prophètes. Dieu lui-même dit : « J’enverrai un jour mon propre serviteur. Il aura été si défiguré, il aura tant perdu toute apparence humaine que vous ne le reconnaîtrez pas. » Une belle histoire ? Ce n’est pas tout à fait ce qu’Isaïe semble prophétiser. Pourtant, quand Luc et Matthieu racontent l’enfance du Christ, on nage dans le merveilleux et le magique qui réactivent nos mémoires d’enfants. On a les chants des bergers, les mages qui suivent une étoile, cela se passe la nuit, une nuit douce de Judée qui accentue le caractère féerique de la scène. Pourquoi Matthieu raconte-t-il les choses ainsi ? C’est que pour lui, chaque détail a son importance. L’Évangile n’est pas une belle histoire que l’on raconte pour endormir les enfants. Il est écrit au contraire pour réveiller notre foi, pour mettre en perspective les récits des Écritures et montrer que tout cela avait été annoncé et préparé.

Vous dites que c’est une mise en scène d’un événement qui a été annoncé il y a longtemps. C’est sa mise en scène qui donne cette impression féerique ?

S. G. : Ce sont les éléments de langage utilisés pour raconter cette histoire. Quand Matthieu parle d’un astre dans le ciel, il rappelle un épisode très précis du livre des Nombres, au chapitre 25, où il est question d’un devin, Balam, qui refuse de maudire le peuple d’Israël à la demande de son roi, disant : « Je vois dans ce peuple se lever son astre. » Déjà dans le livre des Nombres, qui nous parle de la nuit des temps, il est annoncé qu’avec cet astre qui se lève viendra parmi le peuple d’Israël un sauveur, un libérateur. L’astre qui se lève, c’est en langage codé l’arrivée d’un grand de ce monde, un roi ou un empereur. D’ailleurs le mot Avent signifie la venue, et on utilisait ce mot autrefois pour parler de la venue de l’empereur au milieu de son peuple. Les évangélistes empruntent des éléments de langage qui font sens pour ceux qui les entendent.

Vous dites que ces écrits le sont en langage codé. Cela veut-il dire que chaque mot compte ?

S. G. : Bien sûr. Les évangiles ne sont pas écrits pour nous rapporter des faits historiques, mais pour nous faire croire que celui qui vient est le Fils du Dieu vivant, le Messie. Il s’agit de susciter en nous une adhésion : oui je suis prêt à croire en cet enfant qui prend chair, c’est le mystère de l’Incarnation. Je suis prêt à croire qu’en cet enfant c’est Dieu lui-même qui vient parmi nous.

Même si cela me paraît totalement incompatible avec mon esprit cartésien ?

S. G. : Évidemment. Le langage de la foi est une manière d’approcher le sens que nous avons de Dieu et le lien que nous établissons avec lui, ce n’est pas un langage rationnel. Et pourtant, nous avons aussi besoin de la raison pour nourrir le langage de la foi, sinon il y aurait une dichotomie terrible : d’un côté ceux qui croient et qu’on prendrait vite pour des crédules, de l’autre ceux qui pensent vraiment, ont la bonne logique et la bonne raison. Nous avons besoin de toute notre raison, car si Dieu nous a créés avec notre raison, c’est bien pour quelque chose, pour appréhender des textes qui, quand on les écoute, sont très simples, très beaux et suscitent en nous un véritable émerveillement. Car de toute façon, la naissance d’un enfant, c’est merveilleux et cela suscite du bonheur. Pour nous le faire croire et susciter l’adhésion en nous, Matthieu utilise tout cet arsenal d’images.

Donc on peut croire sans tomber dans la crédulité que Dieu s’est fait petit enfant et qu’il est né d’une vierge ?

S. G. : On peut le croire. Ce n’est pas simple ! Comment se fait-il que Dieu soit devenu l’un d’entre nous ? Jusqu’alors, Dieu était en dehors du commerce des hommes, en dehors de l’incarnation. La vie humaine est corruptible, elle mène à la mort. Que Dieu prenne un corps qui le mène à la mort est inconcevable, puisque Dieu est un et éternel. Pourtant, cela avait été annoncé par les prophètes : il devient l’un d’entre nous. Ce mystère profond est insondable, et c’est là que résident la bonne nouvelle et la merveille de ces textes. Mais cela rencontre notre résistance, quand nous essayons de comprendre quel est ce Dieu qui prend chair, qui devient l’un d’entre nous, comme enfant et jusqu’à la mort. Dans la crèche, déjà, se projette l’ombre de la Passion et c’est par rapport à la mort et à la résurrection du Christ que l’on comprend sa vie.

Quelle est la place de Noël dans notre foi ?

S. G. : En discutant avec des enfants, des étudiants, des familles, il m’est apparu que le mystère profond de Noël, c’est qu’il nous oblige à exprimer nos attentes et notre espérance. Nous croyons que Dieu est venu nous sauver, mais cela suppose que nous puissions dire de quoi nous avons besoin d’être sauvés. Sinon la venue de Dieu ne nous concerne pas. Le temps de l’attente, c’est certainement une des plus belles choses que nous puissions vivre. Le poète surréaliste André Breton disait : « Indépendamment de ce qui arrive ou n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. » Et pendant tout le temps de l’Avent, l’attente est réactivée par les textes du prophète Isaïe, et toute notre vie se relie autour de la crèche, avec l’ambiance contemporaine des fêtes de Noël, du sapin, des cadeaux, etc. qui nous invitent à nous demander ce que nous attendons dans la vie. Quelle espérance avons-nous pour nous-mêmes, pour les nôtres, pour le monde ? Au moment où nous célébrons Noël nous sont rappelées, notamment dans les messages du pape, toutes les horreurs du monde, aujourd’hui les migrants, le massacre des peuples d’Orient et du Moyen-Orient. Et, au lendemain de Noël, nous fêtons le massacre des saints innocents. La naissance merveilleuse du Christ à Noël a déjà maille à partir avec la violence du monde.

Donc finalement, ces récits ne sont pas si merveilleux que cela !

S. G. : Il faut cesser de les lire comme un conte de fées. Ils ne sont pas là pour nous endormir, mais nous réveiller face aux souffrances du monde, car le Messie est venu justement pour sauver ceux qui se perdent.

Quel a été votre plus beau Noël ?

S. G. : Mon plus beau Noël a été celui où j’ai dit Oui au Seigneur, car cela s’est passé une nuit de Noël. J’avais 16 ans, mes parents m’avaient permis de traverser seul toute la France pour passer Noël à l’abbaye de Solesmes. Ce jour-là il pleuvait, il n’y avait pas de cadeaux, une messe interminable qui a duré jusqu’à deux heures du matin, puis une nouvelle messe à six heures. Entre les deux, je suis resté éveillé, j’ai prié, et j’ai dit oui à ce qui prenait naissance en moi et que j’ignorais. Ce Noël-là a été le plus magique et le plus féerique qui soit, il a donné sens à toute ma vie.

A LIRE :

Encore Noël ! Pourquoi les mêmes fêtes tous les ans ?

Jésus a-t-il vraiment été un bébé ?

Prière : "Seigneur Jésus, je suis petit"

Noël : une histoire vraie?